#ConfinementJour31 – Partage de lecture du roman  » 2152  » – Chapitres 86, 87 et 88

© Paul Maraud, 2018, pour le texte. Tous droits réservés.
© Éditions Semis de mots, 2018. Bordeaux – Nouvelle Aquitaine
Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, décembre 2018.
Dépôt légal : décembre 2018

 

 

2152

Cinquième période

« La chasse est ouverte ! »

Le plan « Ballons »

 

         Dans la guêpe artificielle, Jiao Kiping était sur ses gardes. Le lieutenant Emile Crocus avait demandé à ses hommes d’être prêts à intervenir. Le danger était imminent…

 

Depuis que l’avion bleu avait réapparu dans le ciel, l’équipe des « Iris » était sous tension. « Comment ont-ils fait pour nous retrouver ? », s’interrogeaient-ils. « Comment leur échapper, maintenant que nous sommes à pied ? ».

L’engin avait fait quelques tours au-dessus d’eux, puis était reparti, aussi calmement qu’à l’aller. Nerveux et inquiets, les pensionnaires se préparaient à quitter les lieux avant que les hommes du PNC ne reviennent. Ils devaient chercher un nouvel abri, le plus vite possible. La peur au ventre, ils s’équipèrent de leurs boucliers, des armes, des munitions et de quelques ridicules morceaux de viande pour survivre le temps de la fuite. Puis, ils partirent en courant à travers la savane, en direction du Kilimandjaro, le grand sommet qui dominait toute la région.

— On peut espérer qu’au pied de cette montagne, se trouvent quelques cachettes ! supposa Pierre Valorie… De toute façon, nous ne pouvons rester là, les bras croisés, à attendre qu’ils viennent nous cueillir.

 

*

 

Après avoir quitté les agents du poste de surveillance de la CM1, Gédéon Smox remontait les étages en ascenseur, pour rejoindre la bulle où se trouvait la salle du conseil. Les sages l’avaient convié à leur réunion. Ils attendaient de lui, un avis technique, pour les aider dans les choix qu’ils envisageaient de prendre. Alors, une fois rendu devant la porte…

— Merci d’avoir pu vous libérer aussi vite, Monsieur Smox ! l’accueillit la sage Betty Falway qui vint à sa rencontre pour lui serrer la main… Veuillez vous assoir parmi nous.

Puis la sage s’adressa aux autres membres du conseil :

— Mesdames et Messieurs les sages, notre réunion peut donc commencer. L’ordre du jour de cette séance extraordinaire est le suivant : définir une nouvelle stratégie pour sauver l’humanité, avant l’attaque du PNC. Sage Peyo Bingo, vous pouvez prendre la parole !

— Merci, répondit-il. Mes chers amis, nous avons décidé de ne pas terminer cette réunion, tant que nous n’aurons pas trouvé de solutions réalistes qui permettront de mettre hors de danger nos concitoyens… Pour être bref, je vous rappelle les trois grandes périodes qui marqueront à jamais l’histoire de notre peuple, depuis que nous sommes miniaturisés… La première, notre installation sur terre, dans les QG disposés sur les continents. La deuxième, après la menace du PNC, notre déploiement dans les mers et les océans, à l’intérieur des cités marines. Enfin, et c’est pour cela que nous vous avons demandé d’être là, Monsieur Smox, le conseil souhaiterait savoir si notre ultime plan « Ballons » peut s’envisager aujourd’hui, sans risque. Où en êtes-vous de vos essais ?

Le responsable de la CM1 se leva lentement et regarda ses interlocuteurs. Il se doutait que sa réponse allait les décevoir…

 

*

 

Ils avaient dû commencer par contourner l’importante surface marécageuse qui bordait la carcasse de l’avion. Ce détour obligatoire, pour se diriger vers les premières pentes du Kilimandjaro, les fatigua très vite.

Toujours à l’affût d’un danger et constamment sur leurs gardes, ils évitèrent ainsi de nombreux animaux qui s’étaient rassemblés près des zones humides pour étancher leur soif. Le groupe des « Iris » avait l’impression de ne pas avancer. Ils atteignaient une rivière qui semblait être, enfin, le dernier obstacle à franchir. Après, ils pourraient emprunter des sentiers plus praticables et ils progresseraient certainement plus vite.

— Attendez ! Ne descendez pas ! ordonna CAR123A qui voulait inspecter les lieux avant de pénétrer dans le cours d’eau.

Les quatre serviteurs du peuple s’engagèrent en éclaireurs quand soudain, Colin alerta ses compagnons…

— L’avion arrive ! j’entends un bruit de moteur !

Ils cherchaient tous à l’horizon cet oiseau de malheur, déçus de n’avoir pu parcourir plus de distance avant son retour.

— Il y en a plusieurs ! observa-t-il, horrifié…

— Oui ! J’en compte trois, confirma José.

Plus personne ne bougeait. Sans un mot, ils suivaient du regard leurs trajectoires. Le trio volant était passé au-dessus de leur campement et amorçait une courbe dans leur direction.

— Vite ! hurla Alban Jolibois… Traversons la rivière avant qu’ils n’arrivent. Nous allons nous cacher dans le petit bosquet qui est sur l’autre rive…

— C’est impossible ! s’affola CAR123A… Elle est infestée de crocodiles !

 

*

 

— Mesdames et Messieurs les sages, répondit monsieur Smox, vous me demandez si nous pouvons lancer le plan « Ballons » en toute sûreté. À ce jour, seul le modèle de simulation a été testé. Nous avons pu prévoir le comportement de nos cités, uniquement sous forme informatisée. Aucun essai en mode réel n’a encore eu lieu. Je suis vraiment désolé. Mais le retard s’explique par les nombreuses perturbations que nous a infligées le PNC.

Son public ne cacha pas sa déception. Les sages avaient trop espéré dans ce projet. Ils découvraient qu’ils étaient, désormais, dans une grave impasse.

— Vous nous dites, Monsieur Smox, reprit le sage Bingo, que nous avons accompli des tests informatisés. Laissent-ils entrevoir que notre projet est possible, ou bien les problèmes sont-ils si complexes que nous devrions oublier tout de suite cette solution ?

Un nouveau silence s’installa dans la salle. Les sages allaient savoir s’il existait encore un petit espoir…

— Jusqu’à présent, Sage Bingo, nos expériences ont montré que les calculs physiques et mathématiques de nos chercheurs sont bons. Peu d’anomalies sont répertoriées à chaque bilan. Maintenant, comme vous vous en doutez, ce sont plutôt les essais sur le terrain qui permettent d’apprécier si nous avons bien pensé à tous les paramètres.

Les sages savaient que le compte à rebours avait commencé. En dehors de ce moyen, ils n’imaginaient pas comment ils pourraient s’en sortir. Maintenant que le Grand Maître pouvait localiser toutes leurs cités, ils étaient vraiment trop vulnérables.

— Monsieur Smox, insista le sage Bingo, pour nous aider à évaluer les risques de ce dessein, pouvez-vous nous résumer les grands principes du plan « Ballons », je vous prie ?

 

*

 

Le groupe des « Iris » se sentait pris au piège. Même en se rassemblant, ils n’oseraient jamais traverser la rivière. Aucun ne souhaitait finir dans la gueule de ces monstres. Ils étaient prêts à abandonner tout projet de fuite quand Audrey remarqua un tronc d’arbre, couché par terre à une vingtaine de mètres.

— Peut-être que ce tronc pourrait servir de pont pour franchir la rivière ? proposa-t-elle… Qu’en pensez-vous ?

Ils coururent aussitôt vers l’arbre mort pour évaluer sa résistance et sa longueur. L’idée d’Audrey paraissait réalisable. Aussi, les dix-neuf membres de l’équipe réunirent leurs forces, une fois de plus, pour approcher la passerelle de fortune sur la berge. Ils la tirèrent jusqu’à un petit promontoire qui surplombait l’eau d’un bon mètre. Là, ils l’élevèrent lentement et parvinrent à la maintenir en équilibre, à la verticale…

— Je compte jusqu’à trois ! cria CAR123A… Et à ce moment-là, nous poussons le sommet de l’arbre vers la rive d’en face !… Attention… un… deux… et trois !

Le mât végétal s’inclina devant eux. Ils le lâchèrent avant qu’il ne s’écrase au sol et attendirent, impatients de découvrir si effectivement sa taille était suffisamment longue pour atteindre l’autre côté.

— Oui ! Ça marche ! soupirèrent-ils, rassurés… Allons-y !

Pendant qu’ils passaient, un par un, en équilibre sur ce pont de fortune, les trois avions qui les avaient repérés se posèrent un peu plus loin. Trop occupés à traverser la rivière qui était en contrebas, les membres des « Iris » n’avaient rien vu.

— À toi ! s’adressa Alban Jolibois à Lilou, pour qu’elle s’engage sur le vieux tronc, à la suite de Lisa.

Assise à califourchon, elle s’arrêta soudain à mi-parcours, en apercevant deux crocodiles qui s’avançaient vers elle.

— Je vais tomber ! paniqua-t-elle, toute tremblante. J’ai peur !

 

*

 

Les sept sages écoutaient le responsable de la CM1 avec beaucoup d’attention, car, des explications du conférencier, dépendrait leur avenir. Ils devaient vraiment tout comprendre avant de prendre une décision. Près de soixante milliards de terriens subiraient les conséquences de leur choix.

— L’idée naquit, précisa Gédéon Smox, pendant que nous étudions le moyen de vivre en mer. En inventant les cités marines, une équipe de chercheurs émit l’hypothèse que les bulles, qui nous abritent actuellement, pourraient se transformer en ballons, le cas échéant. Au début, cette idée nous amusait tous, tellement nous la trouvions farfelue. Mais, au fil du temps, nous nous rendions compte que l’opportunité de s’élever dans les airs nous serait forcément très utile, si nos cités étaient en péril sous l’eau… C’est ainsi qu’est né, parallèlement au plan « OCÉAN », le plan « Ballons ».

Monsieur Smox s’arrêta un court instant pour boire quelques gorgées d’eau puis, après avoir reposé son verre sur la table, reprit son discours…

— En effet, pensions-nous, autant profiter de nos efforts pour concevoir une cité afin de la rendre viable aussi bien dans l’eau que dans l’air. Ainsi se formèrent trois grands groupes de recherches. Celui qui étudierait comment s’adapter au milieu marin, celui qui réfléchirait à la façon de vivre dans les airs, et enfin, le troisième groupe qui ferait la synthèse des deux premiers pour que la cité bénéficie de cette double fonction. Lorsque le projet du troisième groupe reçut l’assentiment des architectes, les travaux purent commencer et les 970 000 cités furent construites comme bases de secours pour les 970 000 QG terrestres. Les tests des bulles, en mer, furent concluants, mais avant de pouvoir vérifier l’efficacité des ballons, les cités marines accueillaient déjà nos compatriotes.

 

*

 

Alban Jolibois supplia Lilou de ne pas regarder les crocodiles et l’incita à avancer coûte que coûte.

— Bouge-toi, Lilou ! C’est le seul moyen de t’en sortir !

— J’peux pas ! sanglota-t-elle… Je vais tomber ! J’veux pas mourir !… J’veux pas mourir !

Alban Jolibois savait que s’il rejoignait l’adolescente, l’arbre ne supporterait pas leurs deux poids et ils seraient entrainés avec lui dans sa chute. Mais s’il ne faisait rien, dans son état, c’était sûr, Lilou allait mourir…

— Passe-moi la carabine ! ordonna-t-il à CAR343T qui était derrière lui.

Dès qu’il eut l’arme en main, il visa le premier animal qui commençait à accélérer en direction de la jambe de Lilou. Quand il sortit sa puissante gueule de l’eau, il tira deux coups dans son crâne et le stoppa net, dans son élan. Mais déjà le second marchait sur celui qui était mort pour s’en servir d’escabeau, espérant atteindre la jeune fille plus facilement. Alban déchargea son fusil dans le ventre du crocodile qui se cambra violemment à son tour, avant de s’étaler sur le dos.

Ce remue-ménage éveilla la curiosité de leurs congénères. Ils s’empressèrent de quitter leurs cachettes pour passer à table. Lisa profita de cette brève accalmie pour rejoindre Lilou. Elle jugea son poids assez léger pour revenir en arrière et aider son amie. Elle se colla contre elle et lui proposa de se tenir à ses épaules pour déguerpir de cet endroit mal famé.

— Pose tranquillement tes mains sur moi pour te stabiliser, dit-elle avec aplomb, et mets-toi debout sur l’arbre…

Elle lui parlait constamment pour la rassurer. Tout le monde suivait la progression des deux jeunes filles, sans se douter que les hommes de Toby Clotman, guidés par les détonations de la carabine, s’approchaient discrètement de la rivière.

 

*

 

— Pouvez-vous nous dire, demanda le sage Peyo Bingo à Gédéon Smox, pourquoi nous n’avons pas choisi de vivre d’abord dans l’atmosphère, plutôt qu’en mer ?

— La raison en est très simple, Sage Bingo, répondit-il… La vie sous-marine nous permet de rester fixés quelque part. Je vous rappelle que le câble principal de nos cités est relié à des nappes phréatiques pour nos besoins en eau potable, et à des hydroliennes pour notre consommation électrique. C’était donc plus commode de brancher ces nouvelles structures sur des installations terrestres ou marines déjà existantes.

— Voulez-vous dire que ce ne sera plus le cas, si la cité marine se transforme en ballon dirigeable ?

— Évidemment, Sage Bingo… En faisant le choix de vivre dans l’atmosphère, nous nous détachons de la terre. Nous devenons mobiles. Mais nos scientifiques ont prévu de capter l’énergie grâce au tissu photovoltaïque des ballons. Quant à l’eau, elle pourra se récupérer par écoulement sur sa surface, en utilisant l’humidité de l’air.

— Si je comprends bien, reprit le sage, nous pourrions garder une réelle autonomie en habitant dans les cités volantes…

— Oui, confirma le responsable de la CM1. La nouvelle difficulté sera plutôt de gérer correctement les déplacements de nos cités. Si sous la mer, nous pouvons contrer les courants grâce à notre ancrage au sol, dans l’air, ce sera avec les vents que nous devrons jouer. Même si nous parvenons à nous agripper, de temps en temps, à quelques reliefs…

— Et aussi avec la température, Monsieur Smox. Ne fera-t-il pas trop froid si nous montons très haut, en altitude ?

— Non, Sage Bingo. Le tissu des ballons garde les mêmes caractéristiques que celles de nos tuniques. Nous serons donc protégés jusqu’à moins soixante degrés Celsius.

 

*

 

Le module guêpe du lieutenant Crocus suivait les soldats du PNC, assez haut pour ne pas se mettre en danger. Derrière leur capitaine, les sept hommes de la BS étaient décidés à donner à ces garnements, la correction qu’ils méritaient. Ils considéraient avoir suffisamment perdu de temps à leur courir après. Cette fois-ci, ils souhaitaient leur montrer qui était le plus fort.

De son côté, Jade Toolman essayait de ne pas se déconcentrer pendant qu’elle rampait sur le vieux tronc. Sous elle, les crocodiles dévoraient leurs deux congénères, tués par Alban Jolibois. L’eau grouillait de reptiles. Elle savait que si elle tombait, elle s’inscrivait directement au menu des carnassiers. Les quatre serviteurs du peuple attendaient leur tour pour passer, quand la BS apparut soudain derrière eux.

— Que personne ne bouge ! beugla le capitaine Clotman.

Les soldats dirigeaient leurs armes vers eux. CAR343T et CAR105A s’empressèrent de saisir leurs fusils pour se défendre. Mais, les hommes en noir qui les tenaient en joue firent feu avant qu’ils n’aient le temps d’agir. Les deux serviteurs s’effondrèrent au sol tandis que leurs deux compagnons levaient aussitôt les bras en l’air.

— Si vous ne vous rendez pas, cria Toby Clotman, nous tirons sur la femme qui est couchée sur l’arbre !

58 s’avança de trois pas devant le capitaine et pointa sa carabine vers l’enseignante. Il attendait son ordre pour appuyer sur la gâchette. Fixant son viseur, il s’étonna de voir une guêpe se poser sur son canon. Celle-ci semblait marcher, innocemment, sur le tube en métal. Il la surveillait d’un œil pendant qu’elle s’approchait de sa main, quand tout à coup, le soldat sentit une piqûre sur son index. Il s’écroula dans la seconde qui suivit, au pied de son chef, tout surpris.

 

*

 

— Voilà, conclut Gédéon Smox, je pense vous avoir résumé l’essentiel… Je reste cependant à votre disposition pour entrer dans les détails, quand vous voulez.

— Merci beaucoup, Monsieur Smox, acquiesça le sage Bingo. Nous en aurons certainement besoin.

Puis, se tournant vers ses collègues, il donna son sentiment :

— Pour moi, au dire de Monsieur Smox, je suis plutôt favorable à ce que nous nous préparions aux lancements de nos cités dans l’atmosphère. C’est le seul moyen d’échapper, en masse, à la barbarie du Parti de la Nouvelle Chance. Et ceci, dans un délai aussi court.

Les autres sages, contrairement à lui, hésitaient encore. Si jamais le passage des cités marines en cités volantes ne se réalisait pas bien, toute la population serait disséminée aux quatre coins des continents. Les cités, livrées à elles-mêmes, deviendraient comme des radeaux à la dérive. Sans coordination, les hommes-miniature auraient peu de chances de réchapper à cette débâcle.

— Nous n’avons effectivement plus le choix, avoua la sage Zoé Duchemin. Mais réservons cette solution à seulement la moitié de la population. L’autre moitié rejoindra les centres de survie que nous avions prévus, en cas de danger extrême. Je considère que nous sommes aujourd’hui dans cette situation. Si nous échouons avec les cités volantes, nous aurons pu sauver, malgré tout, une partie de nos concitoyens. Maintenant, votons, car la mise en place de ce programme demandera du temps, chose que nous n’avons pratiquement plus.

Les sept sages optèrent pour le plan « Ballons », et pour un transfert d’une partie de la population vers les stations secrètes du Groenland, dans les centres de survie, appelés « CSG ».

 

*

 

58 roula jusqu’à la rivière et servit de dessert aux crocodiles qui l’aspirèrent dans l’eau boueuse et opaque, en raison de l’intense agitation. Le directeur des « Iris » comprit que s’il voulait sauver sa collègue, ils devaient capituler… D’un air frustré et désolé, il se retourna vers les jeunes et leur dit :

— Nos chemins se séparent ici, les enfants. Nous, les adultes, allons nous rendre. Une fois de l’autre côté, nous ferons tomber l’arbre pour les empêcher de traverser. Profitez de ce moment pour partir en courant… Ils ne tireront pas, car c’est vous qu’ils veulent capturer… Adieu et… bonne chance !

Pierre Valorie et ses collègues levèrent leurs mains vers le ciel et crièrent :

— Nous nous rendons !… Ne tirez pas !

Le capitaine Clotman esquissa un sourire de satisfaction et leur ordonna de rebrousser chemin. Jade Toolman rejoignit, la première, les deux serviteurs encore vivants. Elle était chargée de leur révéler discrètement le plan qu’ils venaient d’improviser. Ce fut ensuite le tour de Camille Allard qui s’éloigna des enfants, les yeux pleins de larmes. Alban Jolibois s’engagea à son tour sur la frêle passerelle…

— Faites attention à vous ! leur chuchota-t-il, peiné lui aussi.

Pierre Valorie, avant de les quitter, leur fit une dernière recommandation. Pour la première fois, les adolescents le virent en pleurs…

— Courage, mes chers élèves ! Vous êtes notre espoir !

Quand il atteignit l’autre extrémité de l’arbre, ses compagnons feignirent de lui proposer de l’aide et, d’un geste prompt, jetèrent ensemble le tronc dans l’eau, rompant ainsi toute possibilité de franchir la rivière.

— Fuyez ! hurla le directeur à ses élèves.

 

L’urubu à tête rouge

 

         Cela faisait dix jours qu’il n’avait pas mangé. Cet urubu à tête rouge, qui s’était éloigné de son aire de chasse habituelle, planait majestueusement au-dessus de la vallée, tournant sans cesse son crâne chauve, à la recherche de nourriture. Il scrutait finement les environs, espérant trouver enfin un cadavre à se mettre sous le bec.

L’oiseau était encore frustré de son dernier repas. Il avait repéré un guanaco, sans vie, couché au bord d’un lac. Après s’être gavé des délicieuses entrailles du lama en putréfaction, repu, il sortait sa tête de l’abdomen de la charogne, quand il aperçut soudain un renard. L’animal s’avançait avec une telle assurance qu’il décida de quitter les lieux au plus vite. Seulement, après ce festin, le vautour, désormais trop lourd, n’arrivait plus à s’envoler. Paniqué, il dut régurgiter tout ce qu’il venait d’avaler pour s’alléger. L’urubu échappa de justesse au carnassier, dès qu’il eut réussi à vider son ventre.

De nouveau en prospection, il s’était rapproché du sol, car il comptait sur son odorat pour détecter sa pitance. Si une carcasse était dans le secteur, de puissantes puanteurs émaneraient forcément du corps en décomposition. Il n’aurait plus qu’à se laisser guider par celles-ci et remonter ainsi jusqu’à sa source.

 

Dans cette même vallée, Rita Keerk, en tant qu’experte, avait rejoint Ali Bouilloungo pour l’aider à conduire le module scarabée, touché par l’ennemi. Ils devaient trouver rapidement un moyen de se débarrasser de leurs poursuivants. Mais, la tâche était difficile, car l’élytre droit du module était en feu.

— Retournons vers la rivière ! proposa Rita au pilote. Nous devons d’abord éteindre l’incendie.

Ali obliqua brusquement à droite pour se diriger vers le centre de la combe. Obéissant à ses conseils, il était soulagé de ne plus être tout seul à chercher comment sortir de ce pétrin.

— Là, devant ! indiqua Rita… Une chute d’eau ! Fonce vers elle !

Tout en zigzaguant, le module avançait à découvert au-dessus du cours d’eau, espérant rejoindre sans encombre la dépression où démarrait la cascade. Les hommes du PNC profitèrent de l’aubaine pour leur tirer dessus. Ils touchèrent, cette fois-ci, l’autre élytre qui prit feu également.

— Nous perdons de la vitesse ! hurla Ali, inquiet. Ils se rapprochent de plus en plus. Si les flammes atteignent l’habitacle, nous sommes foutus !

Ils parvinrent enfin, là où le flot du torrent se déversait dans le vide, avant de continuer sa course folle, vingt mètres plus bas. Le module épousa la courbe de la cascade pour s’enfoncer dans les embruns, projetés par les tourbillons d’eau qui se formaient à sa base. Les deux appareils du PNC n’osèrent pas suivre les fuyards et stoppèrent leur poursuite au sommet de la chute. Ils avaient trop peur d’être aspirés par les remous. Aussi, tournant dans les airs autour de ce déluge, ils finirent par les perdre de vue. Pourtant, leurs détecteurs indiquaient qu’ils étaient toujours dans le secteur.

Quant au module scarabée des fugitifs, il s’était fixé sur un rocher, près du déversoir naturel. Caché sous un parterre de mousse, il avait planté ses cornes antérieures dans l’épaisseur du végétal pour éviter de glisser. À cette distance, suffisamment loin de la colonne d’eau, il bénéficiait d’un arrosage régulier qui déposait de fines gouttelettes sur la carapace. Cela stoppa l’incendie.

— Ouf ! souffla Ali, rassuré… Nous l’avons échappé belle !

— Oui, reconnut Rita Keerk. Les caméras extérieures montrent que les élytres ont été complètement carbonisés. Non seulement la stabilité de l’appareil va être affectée, mais en plus, lorsque nous ne volerons plus, les ailes n’auront plus de protection. Nous devenons beaucoup plus vulnérables !

 

Paco Saka s’était réjoui de cet intermède. Lui et son équipe avaient eu l’autorisation de regagner le bloc opératoire pour conclure l’intervention qu’ils avaient commencée sur le dernier patient. Cependant, ils avaient eu l’ordre de faire vite, car la partie de chasse n’était pas finie. D’ailleurs, les modules du PNC amorçaient une descente timide vers le bas des chutes.

Tout l’équipage attendait fébrilement que le chirurgien ait terminé pour repartir. Les minutes paraissaient très longues…

— C’est bon ! se réjouit-il, au-dessus de l’homme qui avait participé à leur libération.

Il aspira successivement le détecteur et la boule d’arsenic, puis remit à Théo Boz le résultat de sa pêche qu’il rangea dans une boîte rigide, contenant déjà celui des deux autres. Il s’empressa ensuite de remonter dans les étages pour décider avec ses collègues comment s’en débarrasser.

Paco Saka effectuait les derniers points de suture sur le ventre de son patient. Sous son masque, il esquissait un petit sourire de satisfaction, car il avait réussi sa mission. Antonio Lastigua et ses deux compagnons étaient désormais libres. Cependant, son visage s’assombrit très vite en pensant au danger qui les menaçait tous… « Mais pour combien de temps encore ? », se demanda-t-il.

 

Les professeurs Boz et Waren étaient maintenant dans la cabine de pilotage. Ils venaient soumettre au conducteur, l’idée qu’ils avaient eue, avec les autres passagers, de jeter les trois récepteurs dans la cascade avant de repartir…

— C’est effectivement une bonne suggestion, reconnut-il. Mais nous avons actuellement un nouveau problème. Depuis que nous avons perdu nos élytres, notre appareil n’est plus aussi performant. Si jamais les modules du PNC nous aperçoivent, nous n’arriverons pas à les distancer.

Rita Keerk se leva soudain et alla chercher dans un tiroir du cockpit, une petite boule de verre teinté, qu’elle montra d’un air malicieux, au professeur. Le scientifique reconnut tout de suite cet instrument qui lui rappela le fameux test psychologique que lui et ses amis avaient subi dans le QG2, la première fois qu’ils avaient rencontré Rita. Elle leur avait remis cette drôle de sphère avant qu’ils ne s’engagent dans le carré de prairie destiné à les familiariser aux options de leurs nouvelles combinaisons. Cette bille avait été programmée pour voler au-dessus d’eux et les aider à tracer leur chemin, grâce à la caméra qui était disposée à l’intérieur.

— Nous allons l’envoyer au-dessus de la cascade pour voir où se trouvent nos poursuivants ! proposa-t-elle. S’ils se dirigent du côté opposé au nôtre, nous en profiterons pour partir discrètement.

Aussitôt, Rita fit devant le professeur Boz, les mêmes gestes que le jour du test. Elle appuya d’abord sur le premier bouton de la boule pour faire sortir la tige, munie de ses deux rotors. Ensuite, elle pressa le deuxième bouton pour actionner les hélices. Le microhélicoptère quitta sa main, s’extirpa du véhicule par une petite trappe et monta dans les cieux. Quand il domina la cascade, les membres de l’équipage purent observer, depuis leurs places, le panorama filmé par ce merveilleux objet.

Ils repérèrent rapidement les deux appareils du PNC qui, malheureusement, s’avançaient tout droit vers leur cachette. Mais, au même moment, un immense vautour, aux ailes brunes et à la tête rouge, apparut devant la caméra. C’était un urubu qui tournoyait au-dessus des chutes…

— Cet oiseau est peut-être notre chance de salut ! déclara Rita Keerk. Que diriez-vous d’utiliser le téléguidage neuronal sur ce rapace ?

— De toute façon, ajouta Ali, nous n’avons plus le choix. L’ennemi n’est plus qu’à un petit mètre de notre emplacement.

— Alors, allons-y ! lança-t-elle.

Le module scarabée décrocha ses cornes de la mousse et fit aussitôt demi-tour. Sans plus attendre, il ouvrit ses ailes et s’engagea dans les airs. Les hommes du PNC le découvrirent et s’empressèrent de le talonner. Comme ils ne souhaitaient pas le perdre de vue, une nouvelle fois, ils enclenchèrent le pilotage automatique de leurs engins, pensant que c’était un bon moyen de le suivre à travers les embruns, où la visibilité était mauvaise.

— Larguez les détecteurs ! Ce n’est pas la peine de continuer à les aider avec ces appâts ! ordonna le jeune pilote du module endommagé. Il espérait prendre un peu d’avance sur ses poursuivants, grâce à l’effet de surprise qu’il occasionnerait.

Le professeur Boz remit à Rita la petite boîte qu’il tenait dans ses mains. Elle l’introduisit dans la même trappe qui avait servi à extraire la boule de verre teinté, et l’éjecta de l’appareil.

— Ça marche ! hurla-t-elle de joie en découvrant que leurs ennemis suivaient machinalement le coffret qui tombait au pied des chutes.

Le temps que les pilotes du PNC réalisent la supercherie, ils avaient déjà atteint une hauteur suffisante pour espérer se poser sur le rapace, avant qu’ils puissent les rattraper.

— Dépêchons-nous ! s’alarma Rita. Ils reviennent à la charge !

Cependant, n’ayant rien décelé autour de la cascade, l’urubu décida de continuer sa quête de nourriture un peu plus loin. S’ils voulaient ne pas rater cette formidable occasion de se soustraire à leurs poursuivants, les hommes-miniature devaient s’accrocher tout de suite au vautour. Ali Bouilloungo eut l’idée de se placer devant l’urubu pour le déranger dans sa course et le freiner dans son élan. Effectivement, voyant ce gros insecte arriver droit sur lui, l’urubu s’inclina subitement pour dévier sa trajectoire. Le scarabée profita de cette dernière chance qui s’offrait à lui pour essayer de s’agripper à l’animal, tant qu’il était à ses côtés. Il se posa involontairement sur son crâne pelé. Mais le charognard n’apprécia pas du tout cette présence étrangère et commença à tordre son cou dans tous les sens pour s’en débarrasser. Malgré les efforts du faux insecte pour rester accroché, les mouvements de tête du vautour étaient si violents qu’il dût lâcher prise. Ali eut pourtant le bon réflexe d’enfoncer une corne antérieure de l’appareil dans l’orifice des narines du vautour. En pinçant ainsi la racine de son bec crochu, il put se ressaisir. Dans la foulée, il visa l’avant des yeux pour planter son rostre et envoyer le harpon neuronal. Dès qu’un nerf serait détecté dans le crâne de l’oiseau, il se brancherait dessus avec son filament.

Tous attendaient, maintenant, que le contact se fasse. Le temps paraissait interminable…

— Ça sonne ! Ça y est, nous sommes sauvés ! se réjouit le jeune pilote.

L’ordinateur du module signalait la connexion de la fibre artificielle avec un neurone du vautour. Le lobe frontal du cerveau de l’animal était enfin perturbé et Ali pouvait commander le grand charognard comme il le souhaitait.

Pendant qu’Ali se familiarisait à la vue perçante du rapace, Rita vint le seconder pour stabiliser l’appareil sur sa tête, en raison de son volume important. Dorénavant, les hommes-miniature découvraient le monde environnant avec plus d’espoir que tout à l’heure. Curieusement, dans la peau de cet immense oiseau, dont les ailes déployées atteignaient presque les deux mètres, ils se sentirent soudain plus forts, et même plus téméraires.

— Que diriez-vous de reprendre le contrôle des opérations ? proposa Ali, à ses coéquipiers… Juste pour tester les capacités de cet animal et… permettre aux deux scarabées du PNC de connaître à leur tour la peur qu’ils nous ont fichue…

— Non, répondit le professeur Boz qui désirait profiter de leur avantage pour les semer définitivement. Partons ! Essayons de rejoindre nos amis dans les cités marines, tant que cela est encore possible…

Mais les soldats du PNC arrivaient déjà sur eux.

— Si nous les laissons faire, expliqua Rita, ils chercheront à empoisonner le vautour et la partie s’inversera à nouveau. Souhaitez-vous vraiment prendre ce risque, Professeur ? Vu leur entêtement, je préfèrerais me débarrasser d’eux, tant que nous en avons les moyens.

Les deux scarabées ennemis tournaient nerveusement autour de l’urubu. S’ils ne se décidaient pas rapidement, les hommes du PNC allaient bientôt les exterminer. Ils avaient à faire à des tueurs sans âme et ils devaient agir en conséquence. Ils chargèrent donc Ali Bouilloungo de prendre les affaires en main.

— OK ! répondit-il, soucieux d’accomplir sa mission… Je m’en occupe tout de suite.

Le vautour rabattit subitement ses ailes sur son dos et chuta d’une dizaine de mètres, laissant sur place les deux scarabées qui se préparaient à lui envoyer une dose de poison. Puis, il les ouvrit à nouveau et, sans perdre de temps, profita d’un courant ascendant pour remonter dans les airs. Mais cette fois-ci, c’était lui qui effectuait un large cercle autour des deux insectes, tout en maintenant une distance suffisante pour ne pas être atteint par leurs tirs. Quand il se retrouva cinquante mètres au-dessus d’eux, il replongea aussitôt dans leur direction. Le rapace, pliant légèrement ses ailes pour rentrer ses rémiges, gagnait de la vitesse à chaque mètre. Il arriva sur les modules, comme une fusée, et ouvrit son bec crochu, couleur ivoire, pour saisir le premier engin qui se trouvait sur sa trajectoire. Tenant fermement son butin entre ses mandibules, il pressa dessus jusqu’à entendre un craquement et le lâcha dans les airs pour s’occuper du suivant.

Les passagers du deuxième module regardaient, effarés, l’appareil de leurs compagnons qui explosait au sol, après avoir effectué une chute vertigineuse de plus de cent mètres. Face à ce colosse, ils préférèrent battre en retraite. Mais en quelques mouvements d’ailes, l’urubu les rattrapa sans problème. Alors qu’ils survolaient de nouveau la cascade, le vautour projeta l’ennemi dans les chutes, d’un formidable coup de patte. En quelques secondes, le module du PNC fut entraîné par la masse d’eau qui dégringolait. Elle l’emporta vingt mètres plus bas et l’écrasa de son énorme poids, à l’arrivée.

Les hommes-miniature étaient enfin soulagés d’avoir pu se débarrasser de ces dangereux poursuivants. Cependant, en imaginant l’horrible fin des soldats du PNC, ils réalisaient ce qu’ils avaient évité. Ils en avaient froid dans le dos.

— Merci, dit simplement le professeur Boz à Ali. Ne retirons aucune gloire de cette victoire. Nous nous sommes défendus et nous avons cherché à sauver notre peau, un point c’est tout. Pensons maintenant à la suite. Par expérience, nous savons que le danger est partout. Restons attentifs.

L’urubu à tête rouge pénétra dans une colonne d’air chaud et utilisa sa grande envergure pour gagner de l’altitude. Cette fois-ci, quand il domina la chaîne andine, les passagers prirent le temps d’admirer les sommets qui se succédaient à perte de vue. Comme elle traversait un continent entier, ils ne pouvaient en voir qu’une petite partie. Mais en quittant ces gigantesques montagnes, ils avaient réellement la sensation de s’évader d’une immense forteresse.

À six mille mètres de haut, le vautour entama un vol plané qui devait les conduire à des milliers de kilomètres. Vers l’est de l’Amérique du Sud. Avant d’atteindre les premières cités marines de l’océan atlantique, ils survoleraient l’Amazonie. Confortablement assis dans leurs sièges, les passagers se regardaient avec le sourire. Cela faisait si longtemps qu’ils n’avaient pas ri. Tandis qu’ils redécouvraient ce bonheur avec plaisir, le grand rapace n’avait aucune peine à les transporter tellement leurs cœurs étaient légers…

 

Il est temps de repartir

 

         Les serviteurs du peuple s’affairaient à charger les derniers conteneurs à l’intérieur des navires. Stockés et cachés dans des hangars secrets, disséminés dans la labyrinthique baie d’Ha-Long, ces produits allaient être transférés jusqu’à l’île de Bornéo. Tout le matériel nécessaire au bon démarrage de la vie sur l’île se trouvait là, sur la côte vietnamienne, au sud de la Chine.

Des soldats de la BS surveillaient les manœuvres dans chaque petit port. Malgré l’air humide qui rendait la tâche difficile, ils pressaient les serviteurs pour permettre un départ en début de soirée. Lorsque ce fut enfin le cas, tandis qu’une légère brume s’installait tranquillement dans la baie, les bateaux quittèrent en même temps leurs points d’attache. Ils s’engagèrent dans l’immense rade, à travers les milliers d’îlots enveloppés par le brouillard, mais encore éclairés par le soleil. Les marins levaient les yeux vers ces pitons karstiques qui jaillissaient de l’eau à la verticale et transperçaient le voile de vapeur comme des pointes de lances. Ils étaient ébahis par ce spectacle féérique. Ces masses de calcaire étaient tantôt rondes et volumineuses, tantôt fines et acérées. Certaines n’étaient que des blocs et s’élevaient au-dessus de la mer comme des tourelles. Toutes présentaient des versants rocheux infranchissables et seule une audacieuse végétation, qui avait osé planter ses racines dans les failles et les fissures, coiffait irrégulièrement ces monstres de pierre.

En s’avançant dans le golfe du Tonkin, ils finirent par s’extraire de ce dédale de pics, au moment où le soleil disparaissait. La brume s’étant dissipée, ils en profitèrent pour s’orienter vers le sud. Désormais, sous le ciel qui se tapissait d’étoiles, ils se dirigèrent, avec leur importante cargaison, vers la Mer de Chine méridionale.

 

*

 

Tandis que les navires transportaient la marchandise, les autres membres du PNC s’installaient progressivement dans leur nouvelle base… Le Grand Maître avait attendu la fin de la miniaturisation de la population terrestre pour démarrer, sans avoir à se cacher, deux grands programmes de construction. La réalisation d’une nouvelle base sur l’île de Bornéo qui devait prendre le relais de celle située dans l’Oural, et la création d’un centre spatial sur le sol australien. L’arrivée, un peu précipitée, en Asie du Sud-Est, ne changeait en rien les projets du Parti. Les travaux étaient suffisamment avancés pour accueillir ses membres dans de bonnes conditions et, malgré l’humidité, tous appréciaient le climat plus clément de cette région équatoriale après le froid rigoureux de la Russie, proche du cercle polaire.

 

Number one entra dans le nouveau bureau du Grand Maître. Maintenant qu’ils avaient retrouvé leurs marques, ils devaient faire le point sur la situation et décider ensemble quels seraient les choix primordiaux que le PNC aurait à effectuer. Le chef du Parti observait la maquette de Bornéo qui était devant lui. Il fit signe à son second de s’approcher. Quand il fut à ses côtés, il posa délicatement son bras sur ses épaules et, tout en regardant le modèle réduit de l’île, il lui dit d’un air satisfait…

— Mon cher Razoumnik, nous voilà enfin chez nous. Certes, un peu plus tôt que prévu, mais qu’importe… As-tu fait le tour des installations ? Tout fonctionne normalement ?

— Oui, Grand Maître. Les hommes que nous avions laissés ici ont fait du bon travail. Il ne reste plus que les finitions à réaliser. Ils n’en auront plus pour longtemps.

— C’est bien, Number one. Je suis très content… Vois-tu, lorsque je regarde cette maquette, je me félicite de notre choix. L’idée de se fixer sur cette île était très judicieuse.

— Tout à fait ! approuva Number one. Ce pays est suffisamment grand pour que la population du PNC s’étale à son aise sur l’ensemble du territoire. Nous pourrons vivre longtemps et de façon autonome dans cette région du monde pendant que le reste de la planète s’épanouira de nouveau… Et, deuxième avantage, nous contrôlerons mieux les déplacements de nos jeunes. L’espace maritime qui nous entoure réduira leurs désirs d’évasion. Sans qu’ils le sachent, ils sont ici dans une prison insulaire.

— Ah ah ah ! s’esclaffa le Grand Maître… C’est exactement ça ! Une prison sans barreaux et suffisamment vaste pour se croire libre.

Les deux hommes regardaient maintenant l’archipel dans sa totalité. Le Grand Maître posa son doigt sur l’île de Bornéo et le glissa lentement jusqu’à l’Australie. Là, il arrêta le mouvement de son bras et interrogea le chef de la BS. Mais cette fois-ci, d’un ton beaucoup plus grave :

— Et notre programme spatial ? Avance-t-il correctement, lui aussi ?

— Nos ingénieurs sont très motivés ! répondit-il. Ils travaillent nuit et jour sur ce projet. Quand je leur ai dit qu’ils allaient bientôt disposer d’un renfort de main-d’œuvre, ils étaient ravis.

— Rappelle-toi, Number one, tout l’espoir qui repose sur cette station ! ajouta le Grand Maître. La réussite de ce programme est fondamentale pour l’avenir de l’humanité. Nous n’avons pas comme ambition de regarder tranquillement les fleurs repousser sur la terre jusqu’à la fin de nos jours. Si nous avons créé le PNC, c’est bien pour devenir les plus grands conquérants de l’univers. Nous sommes une race guerrière et nous allons chercher dans d’autres systèmes solaires, des planètes ressemblant à la nôtre, pour les coloniser, nous enrichir et étendre notre pouvoir !… Rappelle-toi, Number one… C’est cela notre seul et unique but. Nous allons envoyer nos clones à la conquête de nouveaux territoires pour imposer les valeurs du PNC sur toutes les étoiles où la vie peut exister !… La Terre, notre Terre, doit devenir la capitale de l’univers !

— Ne vous inquiétez pas, Grand Maître. Moi aussi, je ne pense qu’à ça. Mais en attendant, avant de conquérir l’espace, je vous rappelle que nous devons rester les maîtres sur notre propre planète. Autrement dit, pour l’instant, nous devons d’abord éliminer les hommes-miniature. Ensuite, seulement, nous pourrons envisager le futur…

— Tu as raison ! hurla le gouverneur. Commençons par le commencement !

— Je reviens du centre de formation des clones, expliqua Number one. Je me suis entretenu avec Susie Cartoon qui m’a promis que, dans une semaine, les clones seront opérationnels. Elle n’ose presque plus les approcher, tellement ces petits êtres sont prêts à tuer tout ce qui bouge pour vous servir.

— Parfait ! lança soudain le Grand Maître avec fougue. Number one, il est temps de supprimer ces ridicules miniatures avant qu’elles ne deviennent de gênants parasites… Je déclare aujourd’hui, solennellement, que la chasse est ouverte !

 

*

 

Ils jouaient dans l’eau comme des enfants insouciants. Les joyeux éclats de rire perçaient, par touches aiguës, le silence pesant qui régnait à travers la forêt. Cela faisait déjà plusieurs jours qu’ils habitaient ce joli chalet au bord du lac. Dans ce petit coin protégé, à l’abri de tout danger, ils s’étaient vite organisés pour survivre correctement, en attendant que le comité des sages leur fasse signe. GLIC avait trouvé la maison idéale pour que Mattéo et ses amis retrouvent la joie de vivre, tout en reprenant des forces.

Cet après-midi, ils s’amusaient sur la terrasse, face au lac, quand Shad proposa soudain à Kimbu, un pari stupide.

— T’es pas cap’ de marcher sur la rambarde, debout, les mains derrière le dos !

L’esprit joueur de Kimbu s’anima et il releva le défi…

— OK, dit-il, mais à une seule condition…

— Laquelle ? demanda Shad en plaisantant.

— Si je le fais, tu le feras également après moi !

Les deux garçons riaient gaiement pendant que leurs amis les encourageaient à prendre le risque, espérant bien que l’un des deux tomberait à l’eau.

— Ça marche, approuva Shad, tout hilare… Mais moi aussi, j’ai une requête…

— Laquelle ? ricanèrent les autres adolescents qui se prenaient au jeu, à leur tour.

— Uniquement si l’un d’entre vous tente la traversée après moi ! Qui est d’accord ?

Chacun accepta en proposant successivement à son voisin d’oser faire comme lui. Ils se retrouvaient désormais tous impliqués dans cet amusant challenge, sachant que l’eau du lac était plutôt glaciale. Lorsque Kimbu monta sur le dernier rondin, à l’angle de la terrasse, il fut applaudi et sifflé par ses amis qui l’encourageaient, tous très excités.

— Allez, Kimbu ! Allez, Kimbu ! chantèrent-ils en chœur pendant qu’il se concentrait.

Kimbu, le visage rayonnant, respira trois grands coups et s’engagea dans la traversée. Dès qu’il atteignit le milieu du tronc, le bois, plus souple à cet endroit, se mit à trembler. Kimbu sentit qu’il perdait l’équilibre, mais garda fièrement ses bras derrière son dos. La dégringolade fut inévitable et il tomba dans l’étang en hurlant. Au-dessus, la troupe, encore au sec, riait aux éclats.

— À Shad ! À Shad ! appelaient-ils, à nouveau, dans l’hilarité générale.

Shad s’installa à la place que Kimbu, sur la partie droite de la rambarde, et fonça vers le côté opposé sans réfléchir. Il chuta dans l’eau, à peu près au même endroit que son ami. Aucun des six adolescents ne réussit à longer le rondin sur la totalité de sa longueur et le jeu se termina en immense bagarre dans le lac puisqu’ils étaient désormais tous mouillés.

 

Maintenant, la peau rougie par le froid et les muscles tremblants, ils s’étaient rassemblés autour du poêle à bois pour se réchauffer pendant que leurs habits séchaient devant le feu de la cheminée. Ce fut dans cette ambiance euphorique que le visage du sage Huu Kiong apparut sur l’écran de GLIC.

— Comment allez-vous ? demanda le sage, étonné de les voir grelotter autant. Vous semblez frigorifiés. La cabane est-elle si mal isolée ?

— Non, Sage Kiong, répondit Yoko en claquant des dents, avec un grand sourire. Nous revenons d’un bain dans le lac. C’est comme ça que nous nous sommes refroidis. Nous sommes vraiment bien ici. Ne vous inquiétez pas.

Mattéo intervint à son tour et interrogea le sage pour savoir s’ils avaient des informations à leur transmettre. Même s’ils savouraient le fait d’être tous ensemble, à se reposer et récupérer de tout ce qu’ils avaient enduré, Mattéo ne pouvait s’empêcher de penser à Poe. Il était pressé d’agir.

— C’est pour cela que je vous appelle, confirma le sage. Nous allons devoir prendre, très prochainement, de nouveaux risques. Le PNC a fini son voyage et s’est installé dans une île du Sud-Est asiatique. Nous devons quitter les océans pour échapper aux offensives du Grand Maître.

— Mais, comment ? s’étonna Mattéo. Que comptez-vous faire ?

— Nous nous préparons à larguer les câbles qui nous relient encore à la terre. Nos cités vont se transformer en ballons.

— Ouah !… Génial ! s’extasia Rachid. C’est une excellente idée.

— À vrai dire, nous sommes assez inquiets, car nous n’avons jamais eu l’occasion de tester les cités volantes. Si cette mutation ne se passe pas bien, nous nous retrouverons dans une situation catastrophique… Ce sera peut-être notre fin.

— Peut-on faire quelque chose pour vous aider ? proposa Mattéo.

— Malheureusement non ! répondit le sage Kiong. Aussi, pour limiter les pertes, dans le cas où nous nous trouverions en péril, une partie de la population va s’abriter dans des stations secrètes, au Groenland. Nous disposons de trois centres de survie. Ils permettront à nos concitoyens d’être en sécurité, en attendant de retrouver des conditions plus favorables pour vivre sur notre planète.

— Et… Nous ? Qu’allons-nous devenir ? s’informa Indra, tremblant, cette fois-ci, plus de peur que de froid.

Le sage Huu Kiong s’empressa de la rassurer. Il ne voulait surtout pas que les jeunes perdent courage.

— Si vous êtes toujours d’accord pour lutter contre le PNC, nous avons une mission à vous confier. Même si nos cités volantes ne fonctionnent pas, et que nous disparaissons, vous resterez en contact avec les Centres de Survie du Groenland, les CSG. Trois sages de notre comité ont été désignés, par tirage au sort, pour rejoindre ces stations secrètes. La sage Safiya Armoud, la sage Anouk Simbad et moi-même accompagnerons les hommes-miniature au pôle Nord.

— Quelle serait cette mission, Sage Kiong ? s’empressa-t-il de savoir.

— Pour l’instant, vous êtes les seuls à pouvoir vous rendre sur l’île de Bornéo. Accepteriez-vous de partir là-bas, le temps, pour nous, de trouver la bonne parade aux manœuvres démoniaques du Grand Maître ? Réfléchissez bien avant de nous donner une réponse. Nous sommes conscients que nous vous demandons, en quelque sorte, de vous jeter dans la gueule du loup, une fois encore, et… nous comprendrons tout à fait un refus de votre part.

— Mais, Sage Kiong, réagit Mattéo, je croyais que nous étions dans la partie ouest de la Russie ?… Vous nous annoncez que la nouvelle base du PNC se situe de l’autre côté de la Chine. Comment allons-nous parcourir cette distance ? Je vous rappelle que nous sommes à pied et qu’il y a des milliers de kilomètres à traverser. Nous en aurons pour des années !

— Vous avez raison, répondit le sage… Mais nous avons réfléchi à un moyen de transport qui vous permettra de gagner du temps. Dans le QG400105, qui n’est pas loin de chez vous et où nos équipes ont conçu GLIC, nos robots travaillent actuellement sans relâche sur ce projet. Ils tissent des cordages, légers et résistants, destinés à vous aider dans cette traversée. Ils vous confectionnent également une tunique, identique à celle que nous portons.

— Pour quoi faire ? s’étonna Mattéo.

Les six jeunes fixaient la tête de GLIC avec stupéfaction. Ils ne comprenaient pas où voulait en venir l’homme du comité dans ses explications.

— Oui, vous avez raison, reconnut le sage. Allons directement au but… Vous ne savez sans doute pas que nous avons les moyens de nous immiscer dans le cerveau des animaux. Nous pouvons en prendre les commandes psychiques et maîtriser leurs comportements. Aussi, nous avons pensé vous transporter de l’autre côté du continent grâce à des oiseaux migrateurs, des grues cendrées.

— Transportés par des oiseaux ? se réjouit subitement Rachid. J’approuve tout de suite… Ça me plaît bien !

— Mais, Sage Kiong, s’informa Indra, ne sommes-nous pas trop lourds ?

— Nous avons calculé qu’avec une cinquantaine d’échassiers par personne, cela pourrait fonctionner. Vous êtes six et nous avons déjà plus de trois cents volontaires pour vous conduire là-bas. Ils ont tous été recrutés parmi les parents que vous avez libérés de la base du PNC. Il y a notamment vos amis CAR2241V, CAR6667L et James Groove qui acceptent de prendre la tête des opérations.

Les visages des trois hommes s’affichèrent soudain sur l’écran de GLIC et les jeunes furent très émus de les revoir. Ils avaient partagé tellement de choses ensemble. Comme cela faisait du bien d’être à nouveau réunis, même si ce n’était qu’à travers une image…

— Bonjour, mes chers amis ! dit affectueusement CAR2241V en faisant un petit signe de la main. Accepteriez-vous notre aide ?

— Avec plaisir ! approuvèrent, d’une même voix, les six adolescents.

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