#ConfinementJour25 – Partage de lecture du roman  » 2152  » – Chapitres 69, 70 et 71

© Paul Maraud, 2018, pour le texte. Tous droits réservés.
© Éditions Semis de mots, 2018. Bordeaux – Nouvelle Aquitaine
Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, décembre 2018.
Dépôt légal : décembre 2018

 

 

2152

Quatrième période

« Je vais te confier une mission ! »

C’est de ta faute !

 

         Toutes les cages étaient enfin ouvertes. Dès que les adolescents furent délivrés, ils se rassemblèrent autour de Mattéo dans l’espace central de la prison. Il leur expliqua le plan des serviteurs du peuple qui s’étaient ralliés à leur cause ainsi que des parents récemment libérés :

— Nous allons rejoindre la cité de Thalie par les couloirs techniques… Cette cité sera notre refuge en attendant de trouver une solution pour nous enfuir… Nous devrons rester groupés pour que l’on n’oublie personne… D’accord ?

— Nous fermerons la marche avec Shad et Rachid ! cria Kimbu, et nous veillerons à ce que tout le monde suive !… Tu peux compter sur nous !

— Qui est malade ou trop épuisé pour avoir besoin d’aide ? s’informa Mattéo. Et qui se sent capable de porter ou de soutenir ceux qui sont fatigués ?

Tandis qu’ils s’organisaient pour disposer les plus faibles à l’avant du cortège, l’un d’entre eux protesta violemment :

— De quels droits nous donnes-tu des ordres ? hurla-t-il, et pourquoi te suivrions-nous ?

Subitement, la foule en effervescence se tut et se tourna vers celui qui venait de provoquer Mattéo… Il ne semblait pas être tout seul à être mécontent, car un groupe d’individus se postait derrière lui avec le même regard réprobateur.

Mattéo l’observa un court instant, surpris de cette soudaine rébellion…

— Qui es-tu ? lui demanda-t-il.

— Andrew !

— Je ne donne pas d’ordres ! répondit-il avec calme. Je propose juste un moyen de fuir cette prison dans laquelle vous pourrissez tous, lentement mais sûrement… Ne souhaites-tu pas retrouver ta liberté ?

— À ton avis, sais-tu pourquoi nous pourrissons dans ces cages à lapins depuis des mois ? répliqua le jeune garçon, furieux.

— Oui, bien sûr !… Ce PNC rassemble tous les fous de la planète ! dénonça Mattéo. Et dans leur délire, ils sont prêts à vous laisser mourir en vous abandonnant dans ce trou à rats… Trouves-tu ça normal ?

— Non ! Tu te trompes ! contesta Andrew.

— Ah oui ? s’étonna Mattéo… Alors pourquoi étiez-vous enfermés comme des pestiférés ?

— À cause de toi !

La foule perplexe se taisait et regardait simultanément les deux garçons qui se défiaient…

— À cause de moi ?… Mais, que veux-tu dire ?

— Rappelle-toi !… Tout se passait bien au début. Nous étions les rois ! Il suffisait de demander quelque chose et on l’obtenait… Les serviteurs du peuple étaient aux petits soins pour nous et Number one nous incitait à en profiter… Moi, ça me convenait parfaitement !… Et puis, tu as déclenché la révolution et tu as tout foutu en l’air avec ta bande de guignols !… Tu as retourné contre nous ceux qui avaient mis tous leurs espoirs en nous. À cause de toi, nous avons perdu la confiance des hommes du PNC et c’est comme ça que nous avons atterri dans cet endroit immonde !… Tout ceci est de ta faute !

— Oui !… C’est de ta faute ! hurlèrent en chœur les partisans d’Andrew. Tu as tout gâché !… Nous étions heureux avant !

Beaucoup d’entre eux s’emportaient. Ils se mettaient à crier et à insulter Mattéo…

Paméla Scott, à travers les écouteurs de GLIC, entendait les injures qui parvenaient jusqu’à l’entrée de la prison. Elle décida d’engager le robot à l’intérieur pour voir ce qui se passait. L’apparition de GLIC étonna tout le monde et fit retomber un instant les tensions. Mattéo profita de ce calme relatif pour reprendre la parole :

— Voici GLIC ! s’exclama-t-il. Grâce à ce robot, nous sommes en contact avec le peuple-miniature qui s’oppose au « Parti de la Nouvelle Chance »… Je vous propose de l’écouter et vous comprendrez pourquoi ce PNC est dangereux !

Le robot faisait bonne impression et tous se turent pour entendre ses explications…

— Bonjour ! s’exprima Paméla Scott à travers GLIC… Voilà ce que j’ai à vous dire au nom du peuple-miniature… Auparavant, aveuglés par notre soif exagérée de profits, nous avons constamment œuvré en abîmant notre planète. Mais un jour, nous avons pris conscience que notre monde s’éteignait et que nous avancions dans une impasse. Nous allions disparaitre. En réponse à ce constat, les hommes et les femmes de tous les pays ont accepté de se miniaturiser pour laisser à la terre le temps de retrouver un équilibre… Pour permettre à l’humanité d’exister encore, nous devions tous être solidaires et nous avons décidé d’assumer ensemble ce choix. Malheureusement, le PNC, que vous connaissez bien, a attendu notre transformation en êtres microscopiques pour nous éliminer et profiter de la planète bleue à lui tout seul… Il compte sur vous pour faire des enfants et fonder un nouveau peuple. Il les dirigera de façon autoritaire, car son régime est totalitaire !…

Maintenant, vous êtes au courant de la vérité. C’est à vous de choisir votre camp…

Après ce bref discours, les adolescents regardaient ce robot différemment. Ils étaient bien embarrassés… À présent, ils ne savaient plus très bien quoi penser.

Andrew intervint à nouveau :

— Vous n’allez quand même pas croire les sornettes de cette machine ambulante ?… Qui peut imaginer que les hommes peuvent se réduire ainsi, si ce n’est dans les contes de fées ou les romans de science-fiction ?

— Oui, ce robot nous prend pour des imbéciles ! renchérirent les amis d’Andrew. Nous ne nous laisserons pas embobiner !

La cacophonie repartit de plus belle et tous s’injuriaient en traitant d’innocents ceux qui étaient d’accord avec GLIC ou de profiteurs, ceux qui défendaient le PNC…

— Ça suffit ! hurla Kimbu qui ramena le calme grâce à sa grosse voix. Nous n’avons plus de temps à perdre… Nous devons nous décider !… Chacun est libre de penser ce qu’il veut !… Que ceux qui désirent rester avec Andrew se mettent derrière lui et que ceux qui souhaitent suivre Mattéo, se déplacent de son côté !

GLIC montra de suite l’exemple et traversa le cercle central pour s’installer près de Mattéo…

Les deux adolescents se défiaient du regard en attendant que chacun choisisse son camp…

À la surprise de Kimbu, la majorité se positionna aux côtés d’Andrew. Ils n’étaient pratiquement plus que trois cents jeunes avec Mattéo, dont les plus fatigués et les malades. Cela choqua Mattéo, mais il ne laissa rien paraître sur son visage…

— Très bien ! dit-il. Nous partons !… J’espère cependant que vous ouvrirez les yeux à temps, avant d’avoir à regretter votre décision…

— Nous pourrions t’empêcher de fuir et te livrer au Grand Maître ! rétorqua Andrew, satisfait de voir qu’il avait eu plus d’influence que son adversaire… Mais je dois reconnaître que tu as eu le courage de nous sortir de ces cages… Je serai donc magnanime… Moi aussi, j’admets que chacun a le droit de penser ce qu’il veut, même les bêtises… Va-t’en !… Je te donne dix minutes pour quitter les lieux ! De toute façon, la BS te rattrapera sans problème et tu auras tôt fait de te retrouver à nouveau ici avec les fous qui osent te suivre… Quant à nous, nous allons rejoindre le Grand Maître et nous renégocierons avec lui notre place au sein du PNC !

Mattéo s’approcha de Poe. Il se baissa pour la prendre dans ses bras et la souleva délicatement. Malgré sa fièvre, elle lui sourit et lui dit :

— On ne peut pas aller contre la volonté de ceux qui ne veulent rien entendre… Essayons de sauver au moins les plus lucides !

Puis il se tourna vers ceux qui adhéraient à ses idées :

— Que ceux qui se sentent assez forts soutiennent les plus faibles… Partons ! lança-t-il à sa troupe.

Les alliés de Mattéo se frayèrent un passage à travers la majorité dissidente qui les regardait s’éloigner avec une certaine gêne. Au milieu d’un silence pesant, ils quittèrent la prison, attristés que ces divergences d’opinions les aient forcés à se séparer. Ils longèrent le corridor par lequel Mattéo et GLIC étaient arrivés et retrouvèrent, à l’angle, les deux soldats ficelés. Ceux-ci gémirent de rage en voyant les détenus s’évader devant eux sans pouvoir agir.

— Prenez leurs armes ! ordonna-t-il à Kimbu et Rachid qui étaient juste derrière lui… On ne sait jamais, elles pourront nous servir…

Ils pénétrèrent les uns après les autres dans les couloirs techniques, à la suite de Mattéo. Comme ils l’avaient proposé, ses amis se postèrent à l’arrière de la colonie pour n’oublier personne.

— Nous devons accélérer le pas maintenant ! insista Mattéo. Dès que la BS sera alertée, elle fera tout ce qu’elle peut pour nous empêcher de rejoindre Thalie…

Du coup, ils progressèrent dans le labyrinthe à une cadence soutenue pour quitter le plus vite possible Euphrosyne. GLIC prévint CAR2241V qu’ils étaient en train de se diriger vers la cité technique.

 

*

 

— Grand Maître ? appela, depuis son poste, le garde qui s’entretenait avec Andrew. C’est 5025, du secteur de détention… Puis-je vous parler ?

— Oui ? répondit-il d’un ton préoccupé, en raison des récents événements… Que voulez-vous ?

— C’est un peu difficile à expliquer, soupira le soldat devant son micro, conscient de l’orage qui allait éclater lorsque son chef apprendrait la nouvelle. Mais j’ai à côté de moi… un certain Andrew qui aimerait s’entretenir avec vous… Hem, hem…

— Qui est cet Andrew, 5025 ?… Qu’est-ce que vous êtes en train de me raconter ? grogna le Grand Maître.

— Il déclare représenter tous les jeunes qui ont quitté la prison, balbutia le brigadier qui transpirait abondamment dans sa chemise.

— Dites-moi, 5025, s’énerva le Grand Maître, vous voulez passer devant le conseil de discipline pour oser vous moquer de moi ?… Qu’est-ce qui vous prend ? Depuis quand fait-on de l’humour dans la BS ?

— Ils… Ils sont un bon millier devant mon poste, Grand Maître… Je vous assure que ce n’est pas une blague… Je ne me serais pas permis…

— Quoi ? s’étrangla Anikeï Bortch, je… Je rêve ! !!!… Contenez tous ces adolescents avec vos hommes et envoyez-moi ce jeune Andrew !

 

Dans le bureau du Grand Maître, Andrew terminait tout juste ses explications. Il était intimidé par le personnage et, en même temps, fasciné par l’autorité qu’il représentait.

Ici, tous le craignaient, tous exécutaient sur-le-champ ce qu’il demandait et tous le vénéraient… Il incarnait, à lui tout seul, la force, l’ordre et l’intelligence, c’est-à-dire tout ce qui faisait rêver quelqu’un qui aime le pouvoir. Il se rendit compte qu’il lui vouait, lui aussi, une certaine admiration et cela le troubla…

— Voilà, Grand Maître ! conclut-il. Je crois que je vous ai tout dit.

Quand il eut fini de parler, le Grand Maître ne fit aucun commentaire et l’observa un long moment. Andrew prit peur. Il eut le sentiment que le dirigeant du PNC lisait dans ses pensées et qu’il lui était impossible de garder en lui le moindre secret. Il se sentit obligé de détourner son attention et il baissa les yeux. La tête inclinée, il osa demander timidement…

— Grand Maître, pourrons-nous réintégrer le « Parti de la Nouvelle Chance » ?

Andrew releva lentement son menton et regarda de nouveau l’homme qui l’impressionnait et qui restait muet.

Il crut apercevoir sur son visage un léger rictus de satisfaction. Tranquillement, le Grand Maître se déplaça jusqu’à l’écran qui était à côté de son bureau et appuya sur un des boutons disposés à droite… Un brigadier apparut dans le cadre. Il lui demanda de le mettre en contact avec Number one. Très rapidement, le portrait austère du chef de la BS s’afficha à la place du soldat…

— Number one, dit Anikeï Bortch, avec froideur… Je viens d’apprendre de source sûre que les adolescents se sont enfuis de leurs cages et tentent actuellement de rejoindre Thalie par la zone technique… Je compte sur toi pour régler cette affaire dans les plus brefs délais !… C’est compris ?

— Quoi ? C’est entendu, Grand Maître. Je m’en occupe personnellement. Ces gamins commencent à m’énerver sérieusement !… Ils vont recevoir une bonne correction !

Puis le Grand Maître délaissa son écran pour s’avancer, avec le même calme, vers Andrew qui ne savait pas s’il devait se lever ou rester assis… Mais quand il fut devant l’adolescent, il posa sa main sur son épaule gauche et l’appesantit puissamment jusqu’à ce que la douleur oblige Andrew à esquisser une grimace. À ce moment-là, l’homme pressa lentement l’articulation, le contraignant à se mettre debout.

— Tu t’appelles donc Andrew ? demanda Anikeï Bortch au jeune qui se tenait désormais bien droit…

— Oui, Grand Maître !

— Et tu aimerais réintégrer notre Parti, n’est-ce pas ?

— Oui, Grand Maître !

— Sais-tu que vous m’avez tous énormément déçu par votre comportement ?

— Je le suppose, Grand Maître !

— Comment peux-tu oser solliciter ma bienveillance pour que j’oublie tout, alors qu’il y a quelques minutes tu m’annonces que tu t’es rendu « magnanime » auprès de ce filou de Mattéo… et que tu l’as laissé filer avec sa bande de traîtres ?

— Oh !… Je… Je regrette, Grand Maître… Je réalise soudain mon erreur…

— Comprends-tu qu’ici, la seule personne qui peut se rendre magnanime… C’est moi ?

— Je le comprends…

L’homme au regard impassible, sans dire un mot, souleva encore un peu l’épaule d’Andrew et augmenta la pression qu’il maintenait…

— Aïe !… Vous me faites mal… Grand Maître… Je vous prie de m’excuser !

— Si je t’offrais une chance, serais-tu prêt à la saisir pour te rattraper ?

— J’aimerais bien, Grand Maître !

— Alors, écoute-moi bien, Andrew… Je vais te confier une mission… Une mission à la hauteur de tes ambitions…

 

Pluie diluvienne

 

         Le soleil venait de plonger derrière la ligne d’horizon. Pendant que la Brigade Spéciale remplissait encore son réservoir de carburant, l’avion jaune citron survolait la zone côtière de l’Érythrée, le long de la mer Rouge. À son bord, les membres de l’équipage observaient cette ligne continue qui séparait avec netteté la partie désertique, à l’intérieur des terres, du bleu de l’étendue marine.

Mais très vite, la lumière déclina…

— Que fait-on ? interrogea le pilote en se tournant vers CAR123A, qui était à côté de lui. Nous devons prendre une décision !

— Si nous poursuivons tout droit, expliqua-t-il, la BS nous retrouvera facilement… Ils ont sûrement compris que nous nous guidions depuis notre départ en suivant la côte. Ils vont maintenir ce cap en pensant que nous resterons dans la même logique…

— Alors, quittons la mer et obliquons vers l’intérieur ! proposa CAR7C.

— Mais, pour aller où ? lui répondit aussitôt CAR123A, inquiet.

Pierre Valorie, qui écoutait distraitement la conversation, leur fit part de ses observations…

— Je crois savoir à peu près, où nous nous situons… Les zones montagneuses que nous apercevons sur notre droite sont les premiers volcans du triangle de l’Afar. Regardez les couleurs incandescentes qui font des auréoles au-dessus des sommets… Ce sont des volcans en activité, éclairés par leur lave en fusion. Nous sommes dans un endroit très particulier, connu par tous les géographes… Cette partie du globe est au croisement de trois grandes régions où la croûte terrestre s’est effondrée… Ce sont des rifts. C’est à cet endroit que se sépare en deux l’Afrique, face à la plaque arabique. L’activité sismique est très intense par ici !…

— Si je comprends bien, reprit CAR123A, nous avons intérêt à rester sur la côte ?

— Non ! répondit Pierre Valorie… Plus nous irons vers l’est, plus nous pénètrerons dans des zones désertiques… L’idée de CAR7C est bonne !… En descendant la vallée du Grand Rift africain, nous retrouverons des régions beaucoup moins hostiles. C’est ce grand couloir que nos ancêtres préhistoriques ont emprunté lorsqu’ils sont remontés vers le nord pour quitter le continent…

— Très bien ! acquiesça CAR123A. Nous allons donc suivre cette vallée.

Sans transition, le pilote inclina le bimoteur et s’orienta vers le sud, en direction des volcans. Dès qu’il fut dans le sens du Grand Rift africain, il distingua au loin son entrée, bordée par deux gigantesques escarpements…

Mais soudain, les pensionnaires des « Iris » se cramponnèrent à leurs sièges. Ils passaient au-dessus de la première caldeira remplie de lave en fusion. L’avion ne volait pas très haut et ils redoutaient que celui-ci tombe dans le cratère. Et en même temps, ce dangereux spectacle les émerveillait…

Le lac était l’objet d’une folle animation. Sa croûte d’un noir épais et luisant se fissurait par moment, dessinant des stries d’un rouge vif et d’un jaune lumineux. Ces sillons sinueux se rejoignaient pour créer un réseau de mailles incandescentes sur des centaines de mètres, puis disparaissaient subitement pour être recouverts à nouveau par la surface refroidie…

Un curieux courant déportait cette masse bouillonnante sur les côtés accidentés du lac. Dans cet amas de plis jaillissaient par surprise des fontaines de magma, provoquées par des remontées de gaz. Après s’être éparpillées dans tous les sens, les éclaboussures retombaient lentement pour former des taches lumineuses sur la nappe de carbone. Même le plus beau des feux d’artifice ne pouvait rivaliser avec cette symphonie de matières incandescentes…

Ils survolèrent ainsi plusieurs lacs de lave, aussi somptueux les uns que les autres, puis ils quittèrent la chaîne volcanique pour pénétrer dans l’immense vallée qui s’ouvrait devant eux, ce qui les rassura enfin.

Le vrombissement régulier des deux puissants moteurs résonnait à l’intérieur de l’avion. Bercés par ce bruit monotone et légèrement assourdissant, les jeunes passagers épuisés s’endormirent très vite. Pendant que CAR7C les conduisait au cœur de l’Afrique, seuls les serviteurs du peuple et Pierre Valorie restaient éveillés… Le directeur des « Iris » se retourna vers ses pensionnaires et se demanda, une fois encore, vers quelles aventures il emmenait sa petite troupe. L’inquiétude le gagna quand il eut le sentiment de s’enfoncer dans un cycle infernal qui ne prendrait jamais fin. Il était incapable d’imaginer leur avenir… ou alors, s’il osait se le représenter, il lui semblait si sombre qu’il préférait arrêter tout de suite d’y penser. Était-ce un affreux cauchemar ? Pierre Valorie se pinça la main pour en sortir, mais la douleur lui confirma qu’il était bien dans la réalité !

 

*

 

Le comité des sages accueillit la nouvelle avec joie ! Serge Morille venait de leur annoncer que Mattéo Torino avait réussi à rejoindre Thalie…

— Je vais lui laisser le plaisir de vous raconter comment cela s’est passé ! dit-il aux sages, depuis le QG400105, après avoir terminé d’exposer brièvement la situation.

Les sept sages observaient Mattéo depuis leur cité marine. L’adolescent s’était posté devant GLIC pour communiquer avec eux. À ses côtés, ses amis, Kimbu, Indra, Yoko, Shad et Rachid regardaient également le robot. Poe n’était pas avec eux, car elle avait été prise en charge par les serviteurs du peuple avec les autres malades…

— Toutes nos félicitations, Mattéo ! lança Vasek Krozek, au nom de tous les sages.

— Merci ! répondit-il. Mais je n’y suis pas pour grand-chose, car sans l’intervention des serviteurs du peuple, nous n’y serions jamais arrivés.

— Donne-nous quelques détails ! insista le sage Krozek.

Mattéo se mit à raconter leur évasion :

— Cela ne s’est pas passé comme prévu ! expliqua-t-il. Nous espérions emmener l’ensemble des prisonniers, mais la plupart n’ont pas osé nous suivre. Ils ne m’ont pas cru quand je leur ai annoncé que la population humaine s’était miniaturisée… Ils m’ont pris pour un fou et ils ont préféré se rallier au point de vue d’un certain Andrew qui leur a proposé de regagner la confiance du PNC… En fait, à ma grande surprise, la foule était remontée contre moi et elle considérait que j’étais le principal responsable de leur incarcération. Andrew a été plus convaincant que moi… Je suis vraiment déçu !

— Tu as fait ce que tu pouvais, Mattéo ! l’encouragea le sage Krozek. Nous pouvons aussi les comprendre… C’est humain. Ils ne détenaient pas suffisamment d’informations pour se décider et, en plus, ils ne souhaitaient pas prendre le risque de retourner en prison en provoquant une nouvelle fois la BS…

— Ensuite, continua Mattéo, nous avons rejoint les couloirs techniques pour gagner la cité de Thalie. Nous devions faire vite, car nous savions que les militaires bloqueraient l’accès à cette partie de la base dès qu’ils seraient au courant de nos intentions… Nous avions avec nous quelques malades et, du coup, nous n’avons pas pu maintenir une allure rapide pour arriver à temps devant les portes de Thalie… Ils ont lancé les chiens à notre poursuite !… Mes amis, qui avaient déjà subi leurs assauts pendant la précédente traque de la BS, ont eu le courage de rester en arrière pour faire un rempart et nous permettre d’avancer avec les plus affaiblis… Ils s’étaient placés en bout d’un très long couloir avec les mitraillettes et les pistolets, récupérés sur les deux gardiens que j’avais ligotés près de la prison. Heureusement, ils ont eu suffisamment de munitions pour les éliminer avant qu’ils ne les atteignent…

Nous sommes arrivés devant la cité seulement quelques minutes avant la BS. À cet instant, CAR2241V et CAR6667L ont eu la formidable idée de couper le courant électrique pour que les soldats se retrouvent dans l’obscurité totale. Les serviteurs du peuple sont sortis à ce moment-là et ils ont tiré sans interruption dans leur direction pour les empêcher de s’approcher. Nous avons profité de ce répit pour pénétrer dans Thalie, protégés par leurs coups de feu…

Quand tout le monde fut à l’intérieur, les serviteurs nous ont rejoints en refermant les portes blindées derrière eux…

— Bravo ! Quel courage ! applaudirent les sages, à la fin de son récit. Vous avez été parfaits !

Mais les jeunes ne retiraient aucune gloire de cette action et ils se levaient déjà sans prêter attention à leurs compliments. Ils avaient fait ce qu’ils avaient pu et maintenant qu’ils étaient temporairement hors de danger, ils s’empressèrent de retrouver leurs amis malades et savoir s’ils étaient bien soignés…

 

*

 

Les pensionnaires des « Iris » furent réveillés brusquement par leur directeur qui les secoua par l’épaule, jusqu’à ce qu’ils ouvrent les yeux :

— Dépêchez-vous ! ordonna-t-il gentiment. Prenez les gilets de sauvetage qui sont sous vos sièges et attachez-les !

— Que se passe-t-il ? s’inquiétèrent-ils tous à tour de rôle, alors qu’ils bâillaient encore.

— Pour l’instant, rien ! les rassura Pierre Valorie qui les aidait en même temps à s’équiper. Mais notre réservoir est pratiquement vide… Si nous ne trouvons pas une piste bientôt, nous devrons peut-être faire un atterrissage forcé sur un lac et quitter l’avion avant qu’il ne coule.

Les adolescents s’empressèrent d’enfiler les gilets avec une certaine nervosité… En faisant ces gestes à nouveau, ils se remémoraient la terrible scène où ils découvraient pour la première fois ces vêtements de secours, dans le navire qui les conduisait vers l’Afrique, avant qu’il ne sombre en pleine mer. Pour rien au monde, ils ne souhaitaient revivre un instant pareil…

Pierre Valorie regagna ensuite la cabine de pilotage et s’informa auprès de CAR7C sur ses intentions…

— Comme vous avez pu le voir ce matin, lui répondit-il en s’adressant également à CAR123A, nous étions encore dans le rift lorsque le jour s’est levé… Nous avons survolé une succession de lacs en restant au centre de cette immense gorge… Puis, d’un coup, une large vallée s’est présentée devant nous et j’ai tenté de maintenir le même cap en attendant de découvrir un point stratégique… Nous avons atteint, quelque temps après, une nouvelle étendue d’eau que j’ai longée sur son versant est, sur plus de deux cents kilomètres… Elle était immense ! Dans la continuation de son axe, j’ai aperçu une chaîne montagneuse que j’ai préféré laisser sur ma droite, car elle retenait les nuages. Nous sommes donc en train de contourner cette succession de dômes par la savane… J’ai pensé que, si j’étais contraint d’atterrir quelque part, je serais mieux dans cette partie plus dégagée.

— Tu as bien fait ! rajouta spontanément CAR123A…

— Je me dirige actuellement, tout droit vers le sud… Puisque nous nous éloignons des reliefs, nous devrions songer à nous poser… Le mauvais temps est en train de s’installer partout et le plafond nuageux s’abaisse de plus en plus… Je sens que ça va bientôt tomber !

Les trois hommes scrutaient l’horizon tant que c’était encore possible. Ils étaient encerclés par d’impressionnants cumulonimbus couleur de plomb qui avançaient inexorablement vers eux, suivis de leurs grandes traînes de pluie qui arrosaient la savane sur leur chemin.

— Combien as-tu d’autonomie ? lui demanda Pierre Valorie.

— À peine cent kilomètres ! lança CAR7C au professeur, tout en examinant le ciel qui devenait de plus en plus menaçant.

Ils avaient décidé de rester à basse altitude pour mieux observer le terrain et être prêts à toutes éventualités… Tous furent sidérés d’apercevoir sous leurs pieds des animaux sauvages qui s’enfuyaient de tous côtés, effrayés par le bruit de l’avion…

— Des… Des éléphants ! hurla Lilou depuis sa place. Et là, à droite !… Des girafes !…

Les passagers n’en revenaient pas… C’était incroyable !… Malgré l’inquiétude d’un atterrissage difficile et imminent, ils contemplaient d’un regard enjoué l’impressionnant spectacle qui s’étalait sous leurs yeux…

— Un troupeau de zèbres ! s’exclama Colin, aussi étonné que les autres. Mais où sommes-nous ?… C’est complètement fou !

À la surprise générale, ils survolèrent un sentier, perdu au milieu de nulle part… CAR7C engagea son avion dans cette direction et chercha à repasser au-dessus de cette surface de terre battue, inespérée. Par sécurité, il souhaitait examiner l’état du terrain…

— Ça semble à peu près correct ! considéra-t-il, après avoir inspecté scrupuleusement les lieux. Je vais m’en éloigner pour pouvoir m’aligner sur la partie la plus rectiligne !

La pluie se mit à tomber violemment quand il reprit de la hauteur. Des bourrasques firent trembler l’avion et le déportèrent dans les airs pendant quelques secondes… CAR7C parvint malgré tout à garder le contrôle de son engin et en profita pour amorcer un virage. Comme il voulait se diriger à nouveau vers la piste, il redoubla de prudence pour ne pas être déséquilibré par la tempête. Les rafales frappaient maintenant l’avion latéralement et le pilote qui se cramponnait à ses manettes, dut s’y reprendre à plusieurs fois pour réussir son demi-tour… Désormais, face au vent, il put revenir en arrière pour se mettre dans le bon axe. Pendant que CAR7C déclenchait la sortie du train d’atterrissage, les passagers se demandèrent comment ils arriveraient à se poser, tellement le bimoteur était secoué…

— Attachez vos ceintures ! cria, affolé, Pierre Valorie qui avait regagné à toute vitesse sa place à l’arrière, pressentant un grave accident…

L’avion s’approcha enfin de la piste, mais il ne parvint pas à se maintenir correctement à l’horizontale… Un coup, c’était l’aile droite qui se relevait brusquement, un autre coup, c’était l’aile gauche. Malgré ses efforts pour rester à peu près stable, il ne réussit à se poser qu’en milieu de terrain et il roulait désormais sur le sol à une allure beaucoup trop rapide.

En face de lui, en bout de piste, un baraquement tout délabré clôturait le chemin et CAR7C comprit très vite qu’il ne parviendrait pas à s’arrêter suffisamment tôt… Il redonna des gaz tant qu’il avait assez d’élan et tenta de décoller à nouveau pour ne pas s’écraser contre le petit bâtiment en ruine… Il s’éleva de quelques mètres et l’évita de justesse. Mais le vent l’empêcha de monter plus haut et le plaqua de nouveau au sol. Il continua son chemin sur le terrain vague qui était derrière les restes de construction en faisant des bonds successifs et atteignit, plus loin, une large zone marécageuse qui le stoppa définitivement. Par chance, le bimoteur, au lieu de s’écraser lamentablement au sol, fut amorti par la terre meuble et s’inclina vers l’avant en piquant du nez. L’eau boueuse s’infiltra progressivement dans la cabine de pilotage par le pare-brise qui n’avait pas résisté au choc. CAR123A et CAR7C quittèrent leurs sièges en toute hâte pour rejoindre leurs amis dans le compartiment qui était au sec. Les deux hommes, le dos collé à la fine cloison qui les séparait du cockpit, firent face aux autres passagers. Penchés au-dessus d’eux, ceux-ci les regardaient depuis leurs places, interloqués…

Ils restèrent ainsi, figés comme des fantômes, à écouter la pluie tomber avec force sur la carcasse de l’appareil… Curieusement, en attendant que le déluge cesse, c’était encore à l’intérieur de cet abri tout déglingué qu’ils se sentaient le mieux.

 

*

 

Jiao Kiping, la pilote du module guêpe commandé par le lieutenant Crocus, s’assura que leur engin était bien fixé dans l’angle de la cabine abandonnée. La situation semblait désespérée…

Confinés dans une poche d’air, les hommes-miniature se trouvaient désormais dans le noir absolu, entre le plafond et la masse d’eau qui remplissait le cockpit…

— Qu’allons-nous faire ? demanda-t-elle au lieutenant, avec angoisse.

Émile Crocus, au bout d’un grand moment de silence, répondit enfin…

— Très bonne question, Jiao !… Si possible, nous n’allons pas rester trop longtemps ici… Qu’en pensez-vous ?

 

Attaque en pleine mer

 

         D’un rythme régulier, la tortue luth avançait résolument à travers la masse épaisse de plancton. L’ensemble des passagers du sous-marin vivant croyaient être au cœur d’une tempête de neige où les millions de flocons représentés par les micro-organismes créaient un immense brouillard dans lequel il était très difficile de se repérer.

Face à leurs cadrans, les soldats pouvaient cependant voir qu’ils s’approchaient du continent américain…

— Où sommes-nous ? demanda l’amiral Flower à l’officier subalterne. Donnez-moi notre position !

— Nous remontons la fosse océanique et nous avançons en direction de la Guyane ! répondit-il… Nous allons bientôt pouvoir longer la côte vers le sud pour rejoindre l’embouchure du fleuve Amazone.

— Parfait ! approuva l’amiral en faisant trembler nerveusement sa moustache. Le plus dur est fait !… Allons voir à quoi ressemble ce Nouveau Monde…

— A vos ordres, Amiral ! acquiesça le sous-officier qui transmit aussitôt l’information au poste de pilotage.

La tortue obliqua lentement vers le haut et quitta la zone sombre des fonds marins pour atteindre petit à petit la surface et l’air du grand large… Toute l’équipe du professeur Boz admirait la diversité des espèces qu’elle croisait au fur et à mesure que l’animal remontait.

Dans les cinquante derniers mètres, de formidables bancs de poissons s’étiraient ou se resserraient subitement pour s’approcher d’une proie ou au contraire se protéger de l’arrivée d’un prédateur. La couleur de ces colonies variait, brillante ou sombre, en fonction des faisceaux de lumière qui perçaient la masse aqueuse.

La tortue émergea enfin et en profita pour refaire le plein d’oxygène. Grâce à quelques mouvements bien synchronisés de ses larges pattes, elle resta ainsi à flotter sur l’eau pendant que l’amiral Flower et les hommes qui étaient autour de lui observaient les alentours. Dans le miroir du périscope, ils aperçurent les premiers reliefs de la terre qui se dessinaient à l’horizon.

 

Son sourire figé, garni de dents pointues débordant de ses épaisses gencives, n’avait rien de sympathique. Un énorme requin blanc, long de six mètres, se déplaçait dans les parages avec nervosité. Sa silhouette, laiteuse au niveau du ventre et grise sur toute la moitié supérieure de son corps, était suffisamment intimidante pour paralyser de peur tous les poissons des alentours. C’était une femelle affamée, prête à se ruer sans réfléchir sur tout ce qui bouge. Elle pointait son museau conique en avant pour détecter grâce à ses récepteurs le moindre bruit ou la plus petite vibration d’un animal en détresse. Soudain, elle repéra au-dessus d’elle, les oscillations créées par la tortue luth qui tentait de se maintenir en surface. Instinctivement, le prédateur interpréta ces mouvements comme le signal d’une proie potentielle et s’engagea comme une torpille vers le reptile à l’arrêt. Le squale pourfendit l’eau de sa tonne et demie lancée à la verticale et plus rien ne pouvait le freiner dans son élan…

— Amiral ! hurla un membre de l’équipage… Un objet non identifié s’approche de nous par le fond à une vitesse phénoménale !

— Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? s’inquiéta aussitôt l’amiral Flower qui se retourna vers le radar de contrôle.

Personne n’eut le temps de réagir. Roulant ses yeux en arrière pour les protéger avant la collision, le grand requin blanc frappa de son museau la carapace de la tortue avec une violence inouïe. Son corps entier jaillit hors de l’eau, emportant avec lui dans les airs la tortue assommée par le choc. Avant de retomber dans la mer, le monstre réussit à saisir dans sa gueule la boîte crânienne de sa victime et referma dessus sa puissante mâchoire bardée de dents acérées. Mais il ne se contenta pas de ce morceau de choix et il continua sous l’eau à croquer énergiquement le corps inerte du reptile marin, fraîchement décapité.

À chaque secousse provoquée par les attaques du requin insatiable, les passagers étaient propulsés contre les murs de la salle principale. S’affichaient alors, sur l’écran sphérique, les rangées de dents triangulaires qui tapissaient la paroi buccale du géant. L’amiral Flower arriva tout de même à presser le bouton d’expulsion de l’habitacle qui se détacha aussitôt de l’intérieur de la carapace. Comme un ballon plein d’air, celui-ci chercha à remonter en surface. Il frôla les mâchoires du requin et s’extirpa de sa bouche, juste avant qu’il ne la referme. Ils évitèrent d’être avalés tout cru, à quelques secondes près…

Une fois hors de danger, le caisson d’habitation flotta comme une bouée jetée à la mer. Emporté par les vaguelettes que le vent formait avec régularité, il s’écartait petit à petit de la zone de carnage.

 

*

 

Tout essoufflé, Gédéon Smox entra dans le bureau des sages sans s’annoncer.

— Nous les avons repérés ! lança-t-il gaiement aux membres du comité. Nous savons où ils se trouvent !

— Que voulez-vous dire ? demandèrent-ils au responsable de la cité marine.

— L’équipe du Professeur Boz !… Nous venons de recevoir un message de la CM57300 qui a intercepté dans son périmètre un signal de détresse. Un appel envoyé depuis les côtes guyanaises vers la base du PNC située à Machu Picchu… Un bâtiment, dirigé par un certain Amiral Flower, informe qu’ils ont été victimes d’une attaque par un requin… Ce même Amiral confirme qu’ils détiennent toujours le Professeur Boz ainsi que les autres ingénieurs… Ils dérivent actuellement à quelques milles du continent sud-américain.

— Formidable ! se réjouirent-ils tous ensemble. Ils sont vivants !

— Monsieur Smox, interrogea la sage Zoé Duchemin sans perdre de temps. Pensez-vous que la CM57300 peut dépêcher des hommes dans l’urgence pour tenter de récupérer les prisonniers ? Ceci, avant l’arrivée des secours de la BS ?

— Certainement ! affirma-t-il. Chaque cité dispose, comme la nôtre, de plusieurs équipes d’intervention.

— Très bien ! approuva la sage Duchemin… Mettez-moi en contact avec cette cité !

 

*

 

Obéissant aux ordres des sages, les soldats de la CM57300 s’étaient équipés en toute hâte pour parvenir les premiers sur les lieux du sous-marin accidenté. Un module scarabée survolait déjà le caisson flottant de l’amiral Flower et indiquait sa position aux militaires qui devaient le rejoindre par la mer… Cinquante modules poulpe s’étaient agrippés sur le flanc d’un espadon qui avançait à toute allure jusqu’à lui. Dans moins d’une heure, ils seraient sur place.

 

Au même moment, le comte de la Mouraille entra en contact avec les naufragés :

— Ne vous inquiétez pas, Amiral, dit-il d’un ton rassurant… Une frégate d’hommes de taille normale est déjà en route pour vous chercher… Votre cauchemar touche à sa fin… Je vous félicite pour votre sang froid. Vous et vos soldats aurez droit très bientôt à un repos bien mérité… Encore un peu de patience.

L’équipage attendait plus confiant l’arrivée des secours. Ce n’était maintenant qu’une question d’heures…

Pourtant, les agents de la BS s’étonnèrent soudain d’être ballotés bizarrement et ils s’alarmèrent en entendant des coups contre la paroi qui résonnaient fortement à l’intérieur de leur refuge. L’amiral Flower attrapa aussitôt le périscope et chercha à voir ce qui se passait à l’extérieur.

— C’est incroyable ! grogna-t-il, exaspéré… C’est un espadon qui cogne sur le bâtiment avec l’éperon de sa mâchoire supérieure… Décidément, quelle poisse !

L’homme qui conduisait le poisson avec la commande neuronale, l’obligea à poser son long bec sur le caisson. Les modules poulpe pourraient ainsi l’utiliser comme un pont et migrer sans danger jusqu’à leurs adversaires…

— Alerte ! beugla l’amiral Flower en apercevant cette cohorte tentaculaire qui s’avançait vers eux… Ce sont les troupes ennemies !

Les modules poulpe s’agrippèrent au caisson avec leurs ventouses et commencèrent à inspecter les lieux. Ils devaient trouver un moyen de pénétrer à l’intérieur. Le bâtiment ne présentait qu’une seule entrée sur la partie supérieure, mais celle-ci était malheureusement bien fermée. Ils décidèrent cependant de plastiquer cette issue, car ils n’avaient pas le temps de perforer l’épaisseur de la coque. Sans attendre, une première cohorte appliqua de la dynamite tout autour du sas et invita les autres modules à s’écarter de la zone pour se protéger de l’explosion.

L’amiral Flower se doutait que les assaillants chercheraient à s’infiltrer dans le caisson par cet accès et ordonna à ses hommes de se préparer à une éventuelle riposte. De son côté, il avait renvoyé l’équipe du professeur Boz dans leur ancienne cellule. Il comptait les utiliser comme otages et menacer de les tuer si les événements ne tournaient pas à son avantage. Inquiets, les ingénieurs et le professeur Boz attendaient couchés au sol, les mains et les pieds fermement ligotés, en espérant que leurs libérateurs prendraient vite le contrôle des opérations.

— Si votre frégate n’arrive pas bientôt, informa l’amiral Flower par radio au comte de la Mouraille, nous risquons d’être tous faits prisonniers… Ils semblent bien déterminés à récupérer leurs scientifiques !

Une détonation interrompit leur conversation. La porte d’accès venait d’être éjectée dans l’air. Comme un bouchon de champagne…

— Que se passe-t-il ? s’inquiéta le comte de la Mouraille. Quel est ce bruit ?

— Ils ont réussi à ouvrir une brèche… La bataille paraît maintenant inévitable, répondit l’amiral. Excusez-moi, Comte, mais je dois retrouver mes hommes pour lancer une contre-offensive.

— Résistez à tout prix ! insista le comte de la Mouraille. Je vais donner l’ordre au capitaine de la frégate d’envoyer un hélicoptère pour la devancer… Tenez bon !

Sur le toit du caisson, un premier module poulpe s’avança vers l’orifice et tenta de s’engouffrer à l’intérieur. Le passage s’avéra trop étroit, car il ne put introduire qu’un seul bras. Les hommes-miniature étaient obligés de sortir de leurs engins pour s’infiltrer à pied dans le bâtiment. Ils prirent cependant ce risque et une cohorte armée s’élança dans l’unique couloir, à la recherche de leurs amis prisonniers.

Les soldats de la BS, qui étaient en position de défense, ripostèrent dès que les assaillants apparurent et une bataille sanglante s’engagea entre les deux camps. Les alliés du professeur Boz, du fait de leur grand nombre, commençaient à gagner du terrain quand on leur signala l’arrivée d’un hélicoptère. C’était l’appareil du PNC, envoyé par la frégate.

À son annonce, l’amiral Flower lança une fusée de détresse afin que leurs complices ne perdent pas de temps à les détecter. Depuis le ciel, dès qu’il eut repéré son objectif, l’engin volant abaissa un immense panier souple qu’il traîna sous lui à l’aide d’un câble et qu’il immergea complètement pour cueillir la boîte. Lorsque celle-ci fut dans la bâche, il la treuilla aussitôt, soulevant en même temps dans sa besace des milliers de litres d’eau.

Les quelques hommes qui étaient encore accrochés à l’espadon furent séparés de leurs compagnons en quelques minutes. Sans attendre, le pilote du poisson-épée s’enfonça dans les profondeurs et recula d’une quinzaine de mètres pour revenir vers la toile gonflée avec beaucoup plus de vitesse. Pour éviter que sa charge ne se renverse, l’hélicoptère qui avait déjà fait demi-tour maintint son panier à quelques mètres au-dessus des vagues. Tout à coup, l’espadon s’élança dans les airs comme une flèche et transperça l’épais tissu de son long bec pointu avant de replonger dans l’océan. L’eau de mer s’évacua à grand jet par la déchirure qu’il avait provoquée, mais celle-ci n’était pas suffisamment basse pour permettre au caisson de s’extraire de la toile.

Après une nouvelle tentative infructueuse, les hommes-miniature accrochés au poisson durent se résigner à voir partir leurs camarades qui venaient de se faire kidnapper sous leurs yeux par les forces ennemies. Le module scarabée avait eu l’audace de rester au-dessus de la boîte quand celle-ci fut happée par l’hélicoptère. Il se tenait en renfort des troupes qui étaient encore en train de se battre. Le module devait aider l’équipe du professeur Boz à fuir, dès qu’elle serait délivrée.

Comme la toile était désormais vidée de son eau, le scarabée se laissa tomber au fond du panier et, à l’aide de ses pattes crochues, rejoignit le commando en action. Mais l’opération de libération des otages avait malheureusement échoué et les alliés cherchaient maintenant à sauver leur peau. Ils devaient à tout prix éviter d’être déposés sur le bateau du PNC. Les survivants se retranchèrent dans le module scarabée et défendirent leur position en attendant une bonne occasion pour quitter les lieux. La toile fut enfin détachée sur le pont de la frégate et les matelots de la BS l’ouvrirent prudemment pour ne pas écraser les hommes-miniature. Dès qu’il put se dégager du tissu, le module scarabée s’envola et tenta de s’extraire du bâtiment sans demander son reste pour rejoindre au plus vite la CM57300. Mais les brigadiers l’attrapèrent avec un filet à papillons et le mirent aussitôt dans un bocal.

De son côté, le capitaine de la BS saisit le caisson de ses deux mains.

— Suis-moi ! ordonna-t-il au soldat qui tenait le récipient avec le faux scarabée… Nous allons les ranger précieusement dans le carré des officiers.

Le capitaine posa délicatement le caisson sur la table centrale pendant que le soldat plaçait le bocal bien fermé à côté.

— C’est bon, tu peux partir ! beugla le chef, tout en attrapant sa loupe dans un tiroir.

Il disposa sa grosse lentille au-dessus du caisson et chercha l’entrée avec fébrilité.

Il sourit de satisfaction en apercevant le minuscule amiral Flower qui en sortait. Derrière lui, ses hommes tenaient fermement les six scientifiques que le comte de la Mouraille attendait avec impatience.

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